LECH KOWALSKI
Né à Londres de parents polonais, Kowalski vit une enfance nomade aux Etats-Unis. Étudiant à l’ecole de Visual Arts à New York dans les années soixante-dix il rencontre Vito Acconci, Nam June Paik ,et Shirley Clarke, l'une des pionnières du cinéma vérité qui influencera considérablement son travail.
Lech Kowalski est un témoin. Tout entier, œil et cœur. Œil exorbité par la caméra stylo avec laquelle il écrit ses redoutables carnets de voyage aux pays des marges. Encre de sang, de sperme, de sueur. Cœur battant la chamade dans une rythmique qui paraît binaire, rock oblige, dans un mouvement qui semble maladroit, chaos oblige. Style vrai, genre humain. Pulsations émotions, battements rageurs, coups de cœur et cris de rage. Lech Kowalski est un cinéaste du réel. Plus qu’un journaliste classique, plus qu’un documentariste banal : un poète moderne qui pratique le slam visuel, slalomant sur la piste noire du monde moderne, les pentes escarpées des damnés de la terre.
Lech Kowalski est depuis toujours en tournée… Road-move-vie : un (beau ?) jour de 1951 voilà que débarque dans un misérable faubourg de Londres un être pétri de gènes polonais. Une Pologne parentale marquée au(x) fer(s) rouge(s) des totalitarismes nazi ou soviétique. À peine quelques années anglaises pour que ne commence l’éternel voyage. Immigration ou exode, rêve ou espoir… Cela ne pouvait être que les States ! Les Kowalski trimballeront donc à travers les Etats-unis de l’âge d’or un Lech nomade comme on est enfant. Ça marque ! Timide, affecté de bégaiement, l’enfant préfère son monde intérieur à celui de l’école. Avec une petite caméra, cadeau d’anniversaire pour ses 14 ans, Little Lech réalise son premier film témoignage : sur les bagarreurs de son école. Coup de maître…
Lucky ( ?) Lech se retrouve en 1971 à l’école des Beaux Arts de Munson Williams Proctor puis à l’école d’Arts Visuels de New York. Big Apple ! Le trip est d’autant plus fort que c’est en suivant le ver qui la traverse, l’underground du Lower East Side, que Lech anglais de nationalité, polonais d’origine, apatride de fait, vit sa toute récente majorité. Autre nomadisme, professionnel cette fois : struggle for life, pour payer ses études, le voici manutentionnaire, mécanicien ou encore charpentier. Enfin, underground et époque obligent, voyage aux confins du sexe : L. Kowalski devient cameraman de films pornos. Oeil neuf sur ce business et cœur franc sur son lumpen prolétariat , Lech signe alors, en 1977, une première œuvre : « Sex Stars » (85mn).
Devenu photographe et cameraman indépendant, notamment sur « Hells Angels for ever » et « Our latin thing » réalisés par Léon Gast, l’homme de « When we were kings », qui a gagné par K.O l’oscar du meilleur documentaire aux USA. L’érotisme et la liberté sexuelle née du mouvement beatnik lui donnent alors la matière pour réaliser un court métrage émouvant : « Walter et Cutie » (25mn). Hasard, ouverture d’esprit, disponibilité : Lech alors réparateur de vélos rencontre Shirley Clarke. Le jeune cinéaste se retrouve assistant de la réalisatrice culte. Cul, culte, voir, voyager, croire, créer : Lech, on the road again, filme et organise des happenings, travaille avec Clarke mais aussi Nam June Paik, puis devient l’assistant de Tom Riechman, réalisateur d’un films sur le célèbre jazzman Charlie Mingus. Clarke, Paik, Riechman: travail expérimental, intérêt pour les marginaux, goût pour la musique, le destin de Kowalski est ainsi forgé. Vision poétique d’une réalité prosaïque, pour ne pas dire dramatique, cadrage en plans serrés, montage en rythme survolté, le style Kowalski, comme un gros son de concert rock, fait sa balance.Voici en 1979 un nouveau long-métrage : « The Smugglers ». Monté par Lech à partir d’images documentaires des contrebandiers de marie jeanne ; le film circule alors, ironie du sort, dans le circuit des drive-in américains. À New York, Lech reçoit de plein fouet le souffle fiévreux et teigneux de la bombe punk. Emporté par le mouvement, le cinéaste l’idée géniale et les « bollocks » de suivre, justement, l’unique tournée des Sex Pistols aux States. Ce délire sonore et visuel, cette punk-rock sex and drugs attitude vécue et restituée sur pellicule prendra le nom explicite de « D.O.A » (Dead On Arrival) en 1981 (90 mn).
Près de 25 ans plus tard, à travers le monde, le film (Premier prix au festival de musique de Paris) est toujours cultissime…Il faut dire que c’est bien le seul véritable témoignage cinématographique sur le sujet. Autre « punk attitude » celle d’un couple arty new yorkais désirant faire un enfant pour…le vendre ! « Beau » sujet qui heureusement ne verra pas le jour puisque le kid lui naîtra sans être vendu! Le show must go on…un short tourbillonnant : «Breakdance Test » (1984, 6mn) que l’on peut considérer comme le premier film sur le mouvement hip-hop, reçoit le premier prix du Festival du film court de New York.
Pogo avec la mort voilà, un an plus tard, le chant éraillé d’un « Gringo » ou la mélopée acérée de la seringue de cette « Story of a junkie » (titre du film lors de sa sortie en salle). L’œil de Kowalski ne cille pas, mais celui du spectateur se révulse devant la crudité cruelle de la réalité de la toxicomanie. Mais défonce… de se voiler la face : Lech regarde les choses (de la mort et du désespoir) en face.
Le réalisateur devient alors programmateur , au cinéma de Bleecker Street et s’installe au réputé et très rock style Chelsea Hotel où il « fréquente» Johnny Thunders, mythique guitariste, prodige du cultissime groupe de glam rock, The New York Dolls. Il lui demande alors de jouer et d’écrire la bande son d’un film, « Station of the cross » (1982), dans lequel le musicien damné a une figure christique. En plein tournage, le manager de Thunders est mouillé dans une histoire de dope, avec meurtre ; et Johnny quitte brusquement New York. Le projet ne sera pas finalisé mais la bande son sortira chez ROIR Records.
Puis, agonie du rêve hippie oblige, notre anglo-polo-new yorkais fait « A walk in time » : il s’agit, sous la direction du shaman Mayan, d’une sorte de danse incantatoire cinématographique racontant les péripéties d’un groupe d’indiens mexicains en voyage spirituel Ils iront à pied de Mexico City à Los Angeles soit plus de 5 000 kms ! Sur 40 participants, seuls 6 arriveront à destination…. En désaccord avec la vision des producteurs souhaitant montrer les indiens complètement « purs » spirituellement (ce qui s’avère au cours du voyage être loin de la réalité), Lech se retire du projet. Il faudra attendre 2004 pour qu’un des producteurs lui ayant confié tous les rushes, le film puisse enfin exister.
Lech Kowalski, lui, s’installe bel et bien au Nouveau Mexique, y tournant plusieurs films ethnographiques sur les indiens maya avec Pacho Lane. Le rock est moribond mais un enfanté un drôle de rejeton… Même regard sur la pauvreté avec « Rock Soup » en 1991 (81mn).Ce film touchant sur les SDF new-yorkais est récompensé en 92 par un « Golden Gate Award » du Festival de San Francisco, et mention spéciale du Sundance. La flèche acérée qui traverse toute l’œuvre de Lech Kowalski vise juste, toujours au plus proche de l’autre, dans une approche humaniste si ce n’est humanitaire, et touche ainsi en plein cœur le spectateur.
1991 encore : Lech signe un moyen-métrage (20mn) au titre sobre, comme à son habitude, « Chico and the people ». Encore un sujet où musique et humanité suivent le même tempo puisqu’il s’agit ici de la mise en images de la bande-son de « Rock Soup » (qui, en salle, le précèdera), enregistrée dans Thompkins Square Park le no man’s land des SDF new yorkais, la musique du jazzman Chico Freeman et d’un groupe de homeless.
L’univers musical continuant à être sa thématique de prédilection, cette même année, Lech produit et réalise une toute série de films pour le Musée du Rock and Roll de Cleveland notamment sur les mouvements punk, le rap, le grunge, le phénomène fans … À cette occasion, Il collaborera avec Rudy Wurlitzer sur l’écriture d’un scénario sur l’histoire de Robert Johnson, «père » mythique du blues. Parallèlement à ces commandes, Lech Kowalski s’illustre aussi dans la réalisation de clips, notamment pour Wayne Kramer (ex MC5) avec Epitath Records, ou encore Elliott Murphy pour Warner Chappel. Décidemment « spécialisé », Lech Kowalski réalise au fil des années 90, une série consacrée à la marginalité créative et destructive : « Under Underground » (1997, 3 x 60 mn).
1991 : Lech ayant appris la mystérieuse mort de Johnny Thunders à la Nouvelle Orléans décide de relater les plus forts moments live et les accords désaccordés de la vie du guitare hero . Voici ce qui aurait pu être le titre d’un album, « Born To lose. The Last Rock and Roll Movie » : 15 prises en une décennie pour un film toujours en gestation !…. A partir de centaines d’heures de rushes, d’archives de concerts, de ses archives personnelles, il présentera en 1999 au Festival de Toronto un premier work-in-progress ; 15 autres suivront, toujours présentés en avant première dans divers festivals. Les Thunders fans sont fous : accros toujours et en corps.. à la version nouvelle qui n’ont pas encore vu.
Outre les stars comme Thunders ou Dee Dee Ramone (bassiste du groupe « The Ramones »), salué, post mortem, par Lech dans « Hey is Dee Dee Home » film issu d’une interview du musicien en 1992 (2003, 63 mm) et édité en DVD sous son label, indépendant, Extinkt, le cinéaste veut et aime aussi prendre pour« héros » (héraults ?) des inconnus.
Ainsi de ces « personnages » hauts en couleurs qui symbolisent en eux-mêmes toute une humanité laborieuse et souvent miséreuse. Comme en témoigne « The Boot Factory » (2000, 88mn) qui « raconte » l’histoire de 3 punks de Cracovie, ouvriers et « chef d’entreprise », qui, entre fête pogotique et embierrée, créent et vendent leurs « Doc Martens » made in Poland. Le film, qui obtînt le prix Scam du meilleur documentaire de création 2002, est le premier volet d’une trilogie intitulée « The fabulous art of surviving».
Oui, le Lech réaliste sait aussi être ironique puisque, selon l’expression d’un écrivain qui n’en manquait pas, l’humour est la politesse du désespoir…En témoigne les arpenteurs de « On Hitler’s Highway » : prostituées, junkies, punks, vagabonds : laissés pour (soldes de tout) compte sur le bitume glacé d’une autoroute nazie traversant la Pologne.Au faîte de sa vie et de sa carrière, le calme punk aux cheveux argentés, l’anarcho dandy jeans de cuir / chemise de soie, renoue avec ici ses origines. Ce « road movie » (81 mm) , deuxième volet de son « art de survivre » reçut le 1er prix cinéma New Vision à Alba (Italie) en 2002, date de sa sortie et le Prix spécial du jury au Festival International de documentaire d’Amsterdam IDFA la même année. Chaque film de Lech est vivier, fourmillant de nombreux autres en puissance. Ainsi lors du tournage de « The boot factory », le cinéaste a suivi un fan lors du plus gros concert rock organisé en Pologne, « Voodstock » en 99. Ou encore, lors des prises de vue de « On Hitler’s highway », l’œil Kowalskien était dans l’hombre inquiétante d’un ancien garde du corps d’un ministre communiste bulgare aujourd’hui devenu un des proxénètes des malheureuses filles de cette monstrueuse route. Un nouveau film « à suivre »…
Après avoir réagi à une actualité plus chaude (en 2003 « Charlie Chaplin à Kaboul (Full house in Malalai) retrace son action, avec le directeur de la Cinémathèque Française en Afghanistan courant 2002 et « Camera Gun », court métrage de sniper, abat les a priori et les méconnaissances relatives à la rébellion et à l’aliénation aux USA), Lech Kowalski nous désarme par un tout nouveau long métrage époustouflant. « A l’est du paradis » mixte deux récits : celui de sa mère, déportée en Sibérie et celui de sa Big Apple des 70ies et 80ies, éclatantes et éclatées… « L’art de survivre » se referme donc sur un témoignage bouleversant, celui du fils et un témoignage bouillonnant celui de l’homme, du cinéaste. Couvert de récompenses (ce film « filmographique » de 110mn vient de recevoir plusieurs prix : sélection Officielle du 62e Festival International de Venise 2005, quant au récent « Diary on a married man » : il vient de recevoir le grand prix Doc en courts 2005, Jury du Festival de documentaires courts de Lyon) mais ne voyant pas toujours, en France tout du moins, son œuvre diffusée en salle (la télévision, Arte particulièrement, reste chez nous son meilleur si ce n’est seul medium) Lech Kowalski est à… l’image… de son œuvre : marginalisé. Culte certes mais pas « tendance », français de cœur et de résidence (depuis 99) mais pas vraiment franchouillard…Il faut dire qu’en ces temps de politiquement correct la vérité de la pauvreté n’est pas toujours bonne à dire ; la présentation de la marge, dans son implacable réalité, pas vraiment belle à monter. A digérer, si ce n’est à gérer…. A l’heure du porno chic ou la télé réalité, l’œuvre de Lech Kowalski est trop « laide » pour ne pas être vraie… l’œuvre du cinéaste vaut le « dérangement »…